Emotional landscapes
La musique dans le métro: j'ai testé pour vous (j'aurais pu détester pour vous, mais non). Je ne parle pas du jazz polonais-saxon sur lequel s'égosille un chanteur qui tape du pied pour écraser la puce qui s'est logée sous son gros orteil droit, tirant une une note une fois sur trois, nous surprenant par son obstination à ne jamais sortir la bonne, tout assourdi qu'il est par les basses désaccordées qui brâment d'un son suraigu rappelant le biniou à la saison des amours (ne me demandez pas, je ne comprends rien à la mécanique des fluides), mais de l'écouteur qui murmure comme un dingue à vos oreilles fraîchement tirées du repos suprême par un réveil propulsé et cassé de bon matin.
Ouf. J'ai enfin fini ma phrase (mais je vous ai épargné la métaphore du brâme des éléphants plongés dans l'acide citrique au milieu des criquets). La musique du baladeur, donc.
C'est fou. A 8 heures du matin, ça change la vie; je ne sais pas si c'est dans le bon sens en ce qui concerne mon psychisme, mais c'est renversant.
Regardez plutôt: la dernière fois, j'avais vu dans mes passagers un équipage de galériens, de pirates et de personnes chargées de l'amarrage (les plus cernées, avec une bouteille de rhum dans l'attaché-case qu'elles dissimulent entre leurs jambes mi-chaussettes mi-poils). Des asiatiques aux allures de brigands mal réveillés, le cheveu en bataille et le tricorne dans l'oeil, des blancs à la dégaine de bourgeois moches et peu fortunés rentrés dans les rangs de la Société Française du Commerce Maritime International parce que leur tonton les a pistonnés...
Hier, leur vie a changé: ils sont devenus héros de films tragiques, de films d'action, de romances, mais je n'ai pas vu leurs visages, l'ambiance enfumée des films n'avait laissé de visible que le sillon de leurs mouvements dans l'air appesanti par les perruques enfarinées... Emotional landscapes... Le banal a pris du sens, la routine s'est déguisée en film et je marche avec panache dans les couloirs déserts des métros matinaux de juillet...Mon cheval m'attend, je cours, le duc va s'inquiéter. Oui-Oui est en vacances chez l'archiduchesse dont les chaussettes sont archi-sèches (j'ai toujours cru que ça avait à voir avec le saucisson), mais je suis pas mieux réveillée.
BREVE:
Je viens de relire La Chaussette et le Verre à Dents, et je suis ébranlée par la noirceur d'un humour que je viens tout juste de remarquer! A croire que je n'avais écrit ce texte que pour la satisfaction du "ploc" bien accompli, et que j'ai été tout aussi aveugle que mes personnages... Je crois voir désormais ce qui les a fourvoyés: les troubles intestinaux sont fatals! ;-)